Une deuxième journée commence
Au petit matin, le préposé au balayage nettoie notre wagon dont le sol au cours de la nuit s’est recouvert de détritus les plus diversifiés. C’est le signal de réveil pour les voyageurs qui s’en vont se laver, attendant patiemment leur tour dans le couloir.
Ils font la queue un savon et une serviette à la main pour se laver au robinet d’eau froide. La symphonie des crachats, qui avait quelque peu diminuée, reprend avec plus d’intensité.
Pendant ce temps, les vendeurs ambulants se sont de nouveau organisés . les paniers chargés sont prêts à faire succomber les estomacs vides; les bouilloires remplies d’eau chaude défilent à nouveau et sont les bienvenues dans cet air matinal frisquet.
La police du train qui n’a cessé de patrouiller durant la nuit intervient soudain interdisant à ces petits colporteurs l’accès aux voyageurs. La situation n’a rien de tragique, chacun garde sa bonne humeur, mais malgré tout Ils se replient précipitamment vers le wagon voisin. Cependant, un policier agent perdu patience, lance par la fenêtre des bouteilles de bière qui s’écrasent sur le ballast.
Une deuxième journée commence semblable à la précédente. Assise du côté de l’allée centrale, je fais la connaissance de Jeanette. Trop réservée pour m’adresser la parole d’emblée, ce sont peut-être les regards que nous avons échangés cette nuit, une connivence qui s’est établie au fil des heures qui l’a poussé à me parier de se vie. Elle me raconte murmurant presque : ‘J’ai toujours habité Saïgon. Nous avons avec ma famille un magasin d’artisanat. Il y a cinq ans tandis que le Vietnam était encore fermé au tourisme, la police a surgi chez moi m’accusant d’avoir eu des contacts avec des occidentaux sans autorisation. Sans aucun moyen de défense, je suis restée deux ans en prison. Vingt quatre mois d’isolement. J’ai su plus tard que c’étaient des voisins qui m’avaient dénoncé pour faire acte de "civisme", jaloux aussi de la prospérité de notre petite affaire. Rassemblant mes économies je me sui efforcée, aussitôt sortie, de me joindre aux "boat people" : fuir mon pays à tout prix, telle était mon objectif. Mais par deux fois ces tentatives ont échoué. Aujourd’hui J’ai décidé de rester ici et de construire une nouvelle vie."
Jeanette a récemment été autorisée à ouvrir une agence de voyages, étroitement surveillée par les autorités. Se retrouvant seule alors que toute sa famille a fui vers l’Occident, elle ne veut pas ressembler à ces femmes qui fréquentent les hôtels dans l’espoir de "gagner" un passeport vers la "liberté". Les événements de sa vie l’ont obligée à adopter une philosophie fataliste face à son destin. Évolution qui correspond à un changement dans l’attitude du gouvernement qui accorde plus de libertés individuelles à la population. La libre création d’entreprise voit le jour.
Nha-Trang, Hue, les grandes villes se succèdent, nous nous rapprochons de notre destination. Dehors, on aperçoit les paysans vaquent à leurs occupations, courbés en deux dans les rizières.
Notre avance est ponctuée par de nombreux arrêts, occasion de se dégourdir les jambes le long de la voie ferrée ou, lorsqu’un autre train est arrêté à la hauteur de notre convoi, d’interpeller des voyageurs étonnés de rencontrer une occidentale partager leur moyen de locomotion rudimentaire.
Survient la tombée du jour, une deuxième nuit semblable à la précédente. Beaucoup de passagers semblent être descendus. Les hamacs de nouveau suspendus se balancent au rythme de l’oscillation de notre wagon.
Au petit matin, l’immense plaine du fleuve rouge a laissé place aux premières maisons des faubourgs de Hanoi. Le linge familial pendu aux fenêtres apporte une touche de gaieté colorée.Les petites maisons paysannes ont été remplacées au furet à mesure par des immeubles austères, voire vétustes . Le climat humide et froid du Nord a en effet rendu rapidement Insalubres des constructions exécutées avec économie.
La foule est toujours juchée sur des bicyclettes ou des mobilettes : le paysage urbain semble identique à celui du Sud. Le wagon qui s’est vidé au cours de la nuit est évacué sitôt la rame immobilisée. Hanoi, terminus de la ligne longue de 1730 km.
La foule se dirige vers les grilles. Chacun fait preuve d’ingéniosité pour porter des sacs parfois très lourds. Ultime contrôle des billets ayant de sortir de la gare et de partir à la découverte de la Capitale. C’est quand même à regrets que je quitte ce train même si le dois maintenant récupérer mes heures de sommeil. Il aura été une extraordinaire introduction au Vietnam.
Texte et photos : Marie-Laure Vairelles, photographe (reportage et montage)