23 Juillet 2007 : Roshtkala
Je suis à l’avant d’une "gazelle" rouge. Il s’agit d’un camionnette-minibus. Devant le bazar de Khorog, on attend que le véhicule soit plein pour partir.
J’ai enfin effectué mon enregistrement GBAO. La femme était plutôt sympa. Je crois même qu’elle a souri.
Je suis assis à l’avant quand nous partons. D’abord, il faut traverser la place encombrée de gens, de minibus, de camionnettes, de mashrutkas. Nous partons déjà chargés à bloc mais la camionnette s’arrête pour faire monter, ou plus rarement descendre des passagers. L’assistant du chauffeur sort et tasse tout le monde à l’arrière! Au bout de quelques arrêts, il ne peux plus fermer la porte. Il reste alors debout, accroché au toit, le pied sur le rebord de la gazelle! Je suis à l’avant, on est que trois, sans compter le chauffeur. Musique pop russe à fond pendant tout le trajet. On longe une rivière et ses rives bordées de peupliers.
Arrivée à Roshtkala un peu avant 11h00. Je compte me promener un peu avant de continuer vers Javshanguz. Les taxis à l’affût me poussent à quitter rapidement l’arrêt des minibus, sur la rue principale. Je m’éloigne de la rivière, traverse quelques rues en terre battue. Me voilà déjà à la sortie du village. Des champs, un ruisseau qui traverse le chemin, une odeur de foin…
Retour le long de la route principale. Pas de circulation, des gens sont accroupis par terre. Je demande à quelques uns s’il y a un bus pour Javshanguz. Je ne reçois jamais deux fois la même réponse. Un gars s’adresse à moi en allemand. Il me dit qu’il part vers 14h00 et en attendant, il m’invite à manger un morceau. Je ne comprends pas très bien s’il parle d’un bus ou de louer une voiture… Il n’est pas clair, me dit toujours ‘ja’, ‘yes’ ou ‘kein problem’.

Le bazar de Roshtkala est constitué de quelques containers et pré-fabriqués sur un terrain vague poussiéreux. Les rayons sont peu fournis. C’est même compliqué de trouver une bouteille d’eau. Mon futur ex-chauffeur s’en va acheter un peu de vodka. Il revient avec plusieurs doses de dix grammes. Je refuse de boire avec lui, je me contente de manger un peu de saucisson et quelques beignets de pommes de terre. Il boit seul jusqu’à ce qu’un ami le rejoigne avec du ravitaillement en alcool. Je vois mon espoir de partir avec lui diminuer! Il commence à raconter n’importe quoi, il est vraiment bourré. Il voulait sans doute juste un peu de compagnie. Je me lève et part. Il me donne rendez-vous à 15h00 pour partir avec lui…
Je m’accroupis donc à nouveau au bord de la route en attente d’un moyen d’aller à Javshanguz. Un jeune flic, avec ses copains, veut se donner un peu d’importance. Il me demande mon passeport et le contrôle. Voilà, c’est bien, ce petit a montré son pouvoir. Bimish s’adresse à moi dans bon anglais. Elle me dit de m’asseoir à l’ombre, elle se renseigne pour moi. A priori, pas de bus aujourd’hui. Peut-être demain, peut-être pas! Elle m’invite à aller chez elle. Je revois passer mon germanophone, titubant. Je raconte ses promesses à Bimish et elle sourit, un peu gênée. C’est son oncle et il est effectivement professeur d’anglais et d’allemand. Mais pas chauffeur de bus. Elle me déconseille de faire confiance aux hommes! Ils boivent beaucoup dit-elle.
Elle repart chez elle. Je vais du côté de la fondation Aga Khan, voir s’ils en savent plus sur le passage d’un éventuel bus. Sur le chemin, un autre flic me dit de le suivre. Je reste sur place mais il ne veut rien savoir. Il m’embarque dans le bureau de son chef, qui est en train de brailler au téléphone en tirant sur sa clope. Après dix minutes d’attente, il daigne jeter un œil à mon passeport. Il ne voit rien de la falsification et est heureux de lire Roshtkala sur le permis. Je le quitte sur un ‘Welcome in Roshtkala’. Une demi heure de perdue.

Deux jeunes filles de la fondation m’informent qu’elles attendent une jeep en provenance de Dushanbe et à destination de Javshanguz. Elle devait arriver hier, elle viendra peut-être aujourd’hui, ou demain. Je décide d’attendre là, il fait frais! Je m’installe dans la salle de réunion. Assis sur une épaisse moquette, je lis Neige d’Ohran Pamuk. Le livre commence sur un homme traversant la Turquie en bus. Il s’endort sur son siège. Je ne suis donc pas le seul à avoir le sommeil voyageur!
Je suis en train de m’endormir sue mon livre lorsque j’entends des voix : c’est Helen, une anglaise consultante à la fondation. Elle vit dans les Pyrénées et vient régulièrement dans les Pamirs, qu’elle adore.
Elle part demain pour Javshanguz et elle y passera une semaine. Elle travaille sur l’état des pâturages d’été et les influences qu’ont eues les nouvelles lois foncières sur ces derniers. On en reparlera demain, en chemin : elle me propose de profiter de la place libre dans la jeep. Départ vers 8h00.
Je pars à la recherche de Bimish qui avait proposé de m’accueillir. Je la décris à un gamin. Il m’avait vu discuter avec elle et me guide vers sa maison. Bimish m’installe seul devant la télé. A intervalle régulier, deux têtes passent par l’entrebaillement de la porte. Ce sont le cousin et la cousine de Bimish.
J’ai répondu ‘un peu’, lorsqu’elle m’a demandé si j’avais faim. Me voilà avec les traditionnels sablés, raisins secs et papillotes. Il y a aussi des tranches juteuses et sucrées d’une pastèque, du pain, du beurre et de la confiture de cerise. Et la voilà de retour avec six œufs au plat! Délicieux, mais ça fait beaucoup. Quand j’ai achevé ce festin, nous discutons un peu. Elle est tout le temps à me demander si je suis bien, si j’ai besoin de quelque chose. Bimish a 22 ans et elle se mariera l’été prochain. Elle est étudiante à Dushanbe. Son fiancé vit à Moscou et je l’entendrai au téléphone ce soir.

Nous sortons voir un match de foot. Le soleil disparaît derrière la montagne. Je respire profondément. Des groupes de fans chantent. Des filles sont complètement hystériques. Bimish n’aime pas trop le foot. Nous partons nous promener vers le fort rouge qui a donné son nom au village. Nous montons à travers champs. Des femmes portent des légumes ou du bois. De là haut, nous dominons la vallée. On entend les clameurs depuis le terrain de foot. Si j’avais trouvé un bus pour Javshanguz, je n’aurai pas vu ça, je n’aurai pas non plus rencontré Bimish et sa famille.
A notre retour, le père de mon hôte est là. Nous mangeons ensemble. Une soupe à la viande et des pommes de terre… Nous tentons de discuter un peu avec le chef de famille. Sa fille traduit. Il regrette que nous n’ayons pas de langue commune. On sent un vraie frustration de ne pouvoir échanger réellement. Il me dit quelques mots en allemand, appris dans des films soviétiques sur la grande guerre patriotique : ‘Hände hoch’, ‘Papier’.
La sœur de Bimish, infirmière, ainsi que sa tante de Dushanbe nous rejoint. Nous regardons ensemble le film du mariage du frère de Bimish. On lui coupe les cheveux, on va chercher la femme dans un village voisin. Les femmes dansent avec grâce, en bougeant surtout le haut du corps et les mains. La jeune cousine danse devant l’écran. Elle a quatre ans et offre un spectacle magnifique. Rien de maladroit dans ses mouvements.
Je m’endors dans une petite pièce à côté de la cuisine. Comme à mon habitude, je dors d’autant plus profondément que je suis de passage dans un endroit nouveau, inconnu.