Morphée
Dimanche 6 août 2006
Dist. Du jour : 23.46 km
Dist. Totale : 2961.33km
Trajet : Alentours du lac Thingvallavatn à Thingvellir
En me réveillant, je commence par aller voir si mes habits ont séché pendant la nuit. A part mes chaussures, qui sont légèrement humides, tout est sec.
Aujourd’hui, ça va être une journée tranquille. Je vais flâner autour de Thingvellir et de son lac, Thingvallavatn. Il s’agit du plus grand lac naturel d’Islande. La route qui en fait le tour fait 80 kilomètres. J’hésite un moment à faire le tour, mais seule la partie nord se trouve dans le parc national et vaut vraiment la peine d’être visitée. Je décide donc de privilégier la marche au vélo.
La météo ne s’est pas trompée, vers 8h30, un vent assez violent chasse les nuages jusqu’à avoir un ciel bleu et du soleil ! Et là, je dois dire que le spectacle est éblouissant. Je comprends mieux pourquoi le site fait partie du patrimoine de l’UNESCO. Des collines volcaniques mêlant de la roche rouge à de la végétation verdoyante entourent le lac. Les rares nuages qui se promènent dans le ciel, ont des formes torturées qui rappellent des peintures de Bacon. Et surtout, il y a une longue falaise de 40 mètres de haut, qui longe le lac du nord au sud. On pourrait se demander ce qu’elle fait là, surtout qu’elle se trouve quand même à une bonne centaine de mètres du bord de l’eau. Il s’agit en fait, de la principale attraction touristique du lieu, mais également un des principaux sujets d’études des géologues du monde entier, avec les volcans, les glaciers et les geysers. Il s’agit du rift qui sépare les plaques continentales européennes et américaines. C’est impressionnant ! Dire qu’à cet endroit, deux continents s’écartent l’un de l’autre !
Je pose mon vélo et me fais une ballade d’une heure environ, en longeant le rift, avant l’affluence des touristes. J’admire longuement le paysage. Le lac est parsemé de toutes petites îles de 10 à 15 mètres seulement, qui sont d’un vert intense et qui abritent une multitude d’espèces d’oiseaux. Ce lac a une particularité assez intéressante. Aucun cours d’eau ne se jette dedans. Il est en fait alimenté par des nappes sous-terraines, qui viennent du glacier Langjökull, situé à environ 50 kilomètres au nord-est.
Après les touristes qui en admirent le paysage et les géologues qui en étudient les particularités du sol, les Islandais, eux, accordent un tout autre sens à ce lieu. En effet, Thingvellir tient un sens beaucoup plus politique. Il s’agit ni plus ni moins du lieu qui symbolise l’indépendance de l’Islande. En l’an 930, à la fin du peuplement du pays, pour la première fois, un parlement s’y réunit. Celui-ci détiendra le pouvoir judiciaire et législatif de l’Islande jusqu’en 1264. Puis, petit à petit, les Islandais vont perdre leur indépendance au profit du souverain du Danemark. C’est le 17 juin 1944 que la république islandaise sera proclamée à Thingvellir, et que ce lieu va devenir le symbole de l’indépendance.
Et c’est le 6 août 2006, vers 11 heures du matin, que je décide de retourner vers mon vélo pour continuer ma ballade sur la route qui longe la partie nord du lac. Je pédale tout tranquillement, en sifflotant, sans du tout savoir où je vais. C’est la première fois, depuis mon repos forcé à Vik, il y a 32 jours, que je ne pédale pas avec une destination ou un but au bout. Ça fait vraiment du bien. Je sens un relâchement complet de mon corps et de mon esprit. Je n’ai pas à me battre contre moi-même, contre ma souffrance dans l’effort. Je me rends alors compte que depuis maintenant plus de cinq semaines, j’ai été sacrément dur avec moi-même. Sans cesse, je me disais que cette pomme, cette gorgée d’eau ou ce plat de pâte, je devais le mériter, que quand mon compteur indiquera 100 kilomètres parcourus dans la journée, je pourrai me permettre de manger ce carré de chocolat. C’est peut-être aussi grâce à cet état d’esprit, qu’aujourd’hui, je ne suis plus qu’à 50 kilomètres du but. Mais je préfère chasser ces idées de mon esprit, j’attendrai d’être à Reykjavik, d’avoir réellement bouclé mon tour et d’avoir réussi mon défi pour savourer l’instant.
Vers 14 heures, je retourne vers ma tente, me prépare deux sandwichs et commence un peu à rassembler mes affaires. Puis je m’étends dans ma tente pour bouquiner un peu. Il fait malheureusement trop froid pour rester à l’extérieur, à cause du vent. Avant même que j’aie pu me rendre compte de quoi que ce soit, il m’est arrivé quelque chose qui ne m’étais encore jamais arrivé depuis que je suis en Islande. Je me suis endormis en pleine après-midi ! Moi qui ne fais jamais de sieste, même en Suisse, voilà que je viens d’en faire une de deux heures ! J’ai pourtant dormi sept heures la nuit passée et n’ai fait que 23 kilomètres de vélo et une heure de marche aujourd’hui. Mais là, c’est presque un mois et demi d’effort et de fatigue qui m’ont envahi sans que je m’en rende compte. Ça fait un bien fou. Au réveil, je me sens en pleine forme pour me préparer le souper et pour replonger dans mon bouquin et, qui sait, dans les bras de Morphée…
Sixième du Concours de Carnets de Voyage 2006 organisé par I-Voyages en partenariat avec A Cheval en Corse, Carnets d’Aventures, Chemins du Rêve, Editions Complicités, Europe Active, Forum tour du Monde, Khyam, Let’s Talk, Patrick Chatelier et Rêves et Nature