Cette petite ville norvégienne, centre administratif de l’archipel, fut fondée en 1909, et doit son nom à M. Longyear qui créa ici la première compagnie d’exploitation du charbon. Les terres du Svalbard (le pays aux côtes froides dans la langue viking) comme je l’ai déjà signalé n’ont jamais hébergé de populations premières. Ce sont les Vikings qui les découvrent à la fin du XIIème siècle. Les premiers à y passer un hivernage en 1630, des anglais, déclarèrent: « Le climat est ici si dur que les animaux sont tous blancs! ». Durant plus de deux siècles, on y chasse la baleine, le morse, et des trappeurs y vivent de façon saisonnière. En 1899 on y découvre du charbon, et commence alors une ruée qui s’essoufflera vite. La qualité et la quantité n’y sont pas toujours. Aujourd’hui les norvégiens extraient encore environ deux millions de tonnes par an d’anthracite. Il reste encore aussi aujourd’hui en semi-activité une mine près de la petite ville de Barentsburg qui produit environ 0,2 millions de tonnes par an et où vit une communauté principalement russe (environ 800 personnes). Les conditions d’exploitation et de sécurité sont d’un autre âge. Une quarantaine de mineurs ont ainsi perdu la vie au cours des quinze dernières années, mais les russes n’en ont cure. L’enjeu pour eux bien sûr est d’occuper le terrain en prévision du futur. Un buste de Lénine à l’entrée de la ville rappelle la grande époque soviétique. De leur côté, les norvégiens dépensent plus de 300 millions de couronnes par an pour maintenir une présence humaine sur place, soit environ 2,4 milliards d’euros annuel.
L’archipel du Svalbard a un statut ainsi un peu particulier: souveraineté norvégienne, mais libre droit d’établissement pour les nations voisines. Je n’oublie pas le coup de force récent des russes à la fin du printemps qui sous prétexte d’un programme scientifique (qui sont nombreux dans cette partie du globe) plantèrent depuis un sous-marin leur drapeau au fond de l’océan. Nous ne sommes plus qu’à 1300 kilomètres du Pôle Nord, à près de 80° de latitude Nord. L’avion tourne sur le petit aérodrome avant de s’immobiliser. Je me rue hors de l’avion pour aspirer mes premières goulées d’air frais et pur. Je ferme les yeux. Immédiatement je sens la force et les énergies qui courent ici autour de moi. Je suis émerveillé comme un enfant, vite rappelé à l’ordre par une hôtesse pour rejoindre les autres à l’intérieur de l’aéroport. Je n’ai pas encore fait attention au froid.
C’est un ours empaillé qui accueille les voyageurs à l’intérieur, un gros bébé de 300 kilos abattu près de l’aéroport. J’enfile vite des affaires plus chaudes avant de me ruer à nouveau dehors pour profiter de ces premiers moments: un vent glacé me caresse le visage, pendant que je respire à pleins poumons l’air si pur. Une jeune guide de Svalbard Nature, Sandy, a déjà pris en charge le reste du groupe que je rejoins rapidement, les joues déjà rouges. Nous sommes conduits en mini-bus à l’auberge. Premiers contacts avec la ville toute colorée. Nous découvrons Jérôme et Dominique qui se sont rajoutés au groupe pour pallier les défections de dernière minute. Jérôme est calme et réservé, un peu intimidé, il deviendra vite le poète du groupe. Dominique est une ancienne monitrice de ski de fond, aujourd’hui professeur de Taï-Chi, toujours en train de rire et de dégager des vibrations positives. On s’installe dans les chambres. J’hérite de Jérôme. Je n’ai pas sommeil. Partout je ressens cette énergie, presque palpable. Je redescend avec mon cubi de 4,5 litres de rhum « Bologne » ramené de Guadeloupe, mes citrons verts et les maracujas (fruits de la passion) des Galapagos, histoire de fêter dignement notre arrivée avec les autres jeunes guides de l’agence qui nous ont rejoints. Ceux qui doivent encore conduire, l’air dépités, ne boivent pas une goutte d’alcool. Ici les autorités ne badinent pas avec cela. Aucun norvégien ne boit pendant la semaine, mais ils se lâchent sévèrement et se rattrapent largement le week-end arrivé! Je n’ai qu’un sujet de conversation à la bouche, l’ours polaire. En-ont-ils vus récemment? Oui!… J’essaye d’imaginer ce qu’ils me racontent, mon imagination s’emballe. Il est trois heures du matin quand je me décide à rejoindre ma chambre traversant la rue cahin caha le cubi de rhum à la main sous le regard ébahi de deux jeunes femmes russes qui me prennent en photo. Jérôme n’arrive toujours pas à dormir, bandeau sur les yeux. Je réalise alors qu’il y a un beau soleil qui éclaire la pièce! La couette où je m’étale est merveilleusement chaude. Je pense à Pierre qui je sais viens d’arriver à Longyearbyen à l’instant avec un autre groupe et va devoir enchaîner avec nous dès le lendemain matin. Je m’enfonce dans un sommeil de bienheureux.
Lundi 11 août
Il est 8H45 quand j’ouvre les yeux, en pleine forme. Le groupe se retrouve au petit-déjeuner dans le Mess, un grand bâtiment qui sert de cantine et de salle de réunions. Nous dévorons des céréales, fruits (je sais que nous n’aurons pas l’occasion d’en manger beaucoup durant le séjour), charcuteries, gâteaux secs, et un grand thé brûlant. J’aperçois Pierre qui s’approche tranquillement de notre table. Je l’avais reconnu avec les photos. Il s’installe à côté de moi après nous avoir dit bonjour. Il n’a pas du dormir beaucoup! Il nous emmène ensuite en ville pour acheter quelques sous-vêtements techniques pour compléter notre équipement personnel. Des marques norvégiennes introuvables en France et encore moins en Guadeloupe. C’est cher mais c’est chaud. Je me retrouve torse nu dans la boutique à essayer un maillot de corps quand Pierre me fait remarquer que cela ne se fait pas ici, pas l’essayage, mais la nudité. La vendeuse me regarde de travers en effet. Ben quoi!? Pourtant le week-end arrivé ces dames d’après ce que m’en racontera Pierre ensuite sont capables dans les bars de jeter un préservatif sur le comptoir près duquel est assis le mâle qui a retenu leur attention!… Paradoxes de la culture norvégienne…
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Dehors un petit crachin breton nous accueille. Nous pénétrons ensuite dans le petit supermarché de Longyearbyen, et je découvre les prix les plus élevés que j’ai jamais vus. C’est peut-être le supermarché le plus cher du monde. J’achète quelques cartes postales, Olivier une fiole de cognac et un cubi de vin pour le voyage. Retour au Mess, présentation et préparation du matériel. On découvre nos combinaisons de cosmonautes qui nous accompagneront sur les kayaks. Elles sont faites pour des hommes, et je devine déjà de grands moments de solitude pour les nanas du groupe lors des futures pauses pipi! On traque le moindre trou à la colle: il faut que l’étanchéité soit parfaite. Nous essayons aussi les salopettes bleues en laine qui seront notre habit de base sous la combinaison et le soir. On range nos affaires personnelles dans des poches étanches, chacun emmène le minimum vital, dont des lingettes pour la toilette, quelques sous vêtements.
Pierre nous narre quelques histoires d’ours. La dernière touriste qui s’est faite dévorer il y a quelques années s’est faite attraper ici à 200 mètres des premières habitations. Il tombait de la neige, elle avait cru voir un renne et s’était approchée de cette tâche en mouvement. C’était malheureusement pour elle un jeune ours d’une centaine de kilos, donc pas bien gros, mais au lieu de s’immobiliser et/ou d’utiliser son pistolet d’alarme et/ou d’écarter les bras en gesticulant en chantant l’internationale ou une chanson paillarde, bref de tenter de lui faire peur, celle-ci fit volte-face et prit ses jambes à son cou. L’ours court vite, jusqu’à 30km/heure. Elle devint une proie naturelle par son comportement panique, et malgré sa taille, l’ours la rattrapa et la tua. Il nous explique aussi que les mamans ours gardent leurs petits (un ou deux suivant les portées, rarement trois) durant les trois premières années de sa vie. Elles lui apprennent à survivre et à chasser les phoques sur la banquise. L’ours polaire est un nomade. Il n’a pas de territoire fixe et peut parcourir jusqu’à une centaine de kilomètres en une journée pour se nourrir! Les ours mâles suivent les femelles à l’odeur et cherchent à tuer les petits, afin que celles-ci redeviennent fertiles et en état de s’accoupler. Les plus gros mâles peuvent peser jusqu’à 700 kilos (ce sont les plus gros ours du monde), soit plus de deux fois la taille de celui que j’ai vu à l’aéroport. Rhhhooôô!!! Avant notre arrivée, Pierre a été coincé avec un autre groupe
deux jours durant dans une tempête. Impossible de bouger, il fallait attendre, dormir, manger, et encore attendre, tout en surveillant le camp en permanence malgré une visibilité extrêmement réduite propice à des rencontres soudaines… Au fur et a mesure de ses récits, je sens monter en moi l’excitation, j’écoute l’appel de cette Nature sauvage. Plus il en rajoute, plus mes yeux se mettent à briller. Nous nous rendons près du port afin de re-conditionner pour le départ le lendemain la nourriture stockée dans des containers, à n’en pas douter en provenance de France: saucissons secs, céréales bio, graines de quinoa, et ce qui deviendra notre quotidien, les soupes chinoises à réchauffer! Les déjeuners se feront en général sans accoster, directement sur le kayak, et seront constitués essentiellement de barres énergétiques et chocolatées, mars, twix, etc. Karen en glissant les barres de chocolat dans des sacs hermétiques semble apprécier ce programme culinaire. Le groupe réagit bien, chacun cherche à prendre des responsabilités. C’est bon de sentir cet esprit d’équipe et la bonne humeur qui l’accompagne. Enfin, ce n’est que le début!
Nous nous divisons ensuite. Pendant que certains vont vérifier et préparer les bateaux, j’accompagne Pierre au supermarché avec Karen pour compléter les repas du séjour. Il y a des tas de plats inconnus lyophilisés dans les rayons. Pierre adore cuisiner. Dans deux jours les filles commenceront à l’appeler Maïté. Pour l’heure, je le vois rajouter dans le chariot trois bouteilles d’huiles et me dis que le régime Spitzberg doit être particulièrement riche…Je ne trouve pas de carte mémoire pour mon appareil photo numérique, tant pis, je ne pourrai pas prendre autant de vidéos que j’aurais voulu. Pierre nous emmène ensuite dans un bar spécial où le patron sert des cognacs et autres alcools nobles de tous âges. Il y a tous les cognacs possibles depuis 1896, un trésor. 300 euros pour un mini-verre millésimé de 1908! Les « lâchages » le week-end sont énormes. Il nous dépose ensuite dans un autre où je commande ma première bière arctique pendant qu’il part récupérer des affaires dans l’appartement qu’il loue avec le reste de son équipe de guides. Ceux-ci ont de la chance. Les guides des deux agences concurrentes dorment quant-à eux au camping à leurs retours, où les conditions sont bien plus rudes. Pas de « demi » (25 cl) ici non plus, c’est directement la pinte de 50cl. A peine servie Pierre déboule et m’oblige à la vider d’un cul sec qui entraîne un effet euphorisant immédiat. Gniiii. On rejoint les autres. Nous embarquerons demain matin sur le bateau norvégien PolarGirl qui transporte des touristes et un peu de frêt.
Des sternes arctiques se chamaillent déjà au-dessus de nos têtes; j’admire leurs vols à la fois vifs et gracieux. Les lumières rasantes au-dessus de l’eau sont fantastiques. C’est l’heure de dîner. Au menu ce soir steak de baleine accompagné de frites. C’est dense, il,faut de bonnes dents, cela me rappelle un peu de loin par le goût le saumon, ou du foie. C’est plus gras aussi. 23 euros le kilo. Les norvégiens ont négocié un quota d’abattage de 300 baleines par an sur un cheptel total estimé entre un et deux millions d’animaux. Rien à voir avec les japonais qui traquent ces animaux sur toutes les mers du globe en achetant les voies des petits pays pour continuer à pêcher coûte que coûte. Je continue auprès de Pierre mon apprentissage de la culture norvégienne: ici les femmes peuvent se permettre d’aller voir ailleurs, malgré la désapprobation du mari. « Elle reviennent de toute façon. » me dit-il. Là, cela me plaît déjà moins. Pauvres norvégiens. Mais peut-être font-ils la même chose de leur côté. Une fois le dîner avalé, on enfile nos combinaisons pour les asperger, les bras en croix, d’un produit sous forme de spray censé les rendre encore plus étanches, sous le regard intrigué de touristes qui feront sans doute le voyage sur un bateau. Ensuite, après la préparation des sacs personnels, briefing sur carte dans une espèce de cagibi glacial des « galères » qui nous attendent, le groupe écoute, stoïque, mais pâlit quand même quand Pierre annonce la température la plus froide jamais enregistrée à Longyearbyen: -46°C…Nous allons parcourir si les conditions météo le permettent entre 200 et 300km en kayak, passant d’un campement à l’autre, slalomant entre les fjords, glaciers et autres icebergs. Les russes et les norvégiens ne se mélangent pas: la route depuis Longyearbyen n’atteint même pas la petite ville russe. Dehors, c’est le soleil de minuit. Le plafond nuageux s’est levé, faisant apparaître le bleu du ciel. Des lumières fantastiques jouent sur les plaques de neige. Je suis émerveillé. Nous partageons avec Oli’ un peu de tabac en profitant du moment. Je pense à elle. J’enrage! Pas facile de tourner la page, quand cela fait des mois que vous préparez l’aventure avec votre amie et qu’elle vous abandonne presque au pied de l’avion. Je m’écroule dans mon lit douillet, dernier confort avant longtemps. Jérôme mon compagnon de chambrée dort déjà profondément, masque sur les yeux, bouche ouverte, l’air apaisé.
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Tous les articles du carnet de voyage
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- Longyearbyen
- PolarGirl
- Premier tour de garde arctique
- Rencontre avec l’ours Blanc
- Sacré renard polaire !
- Randonnée polaire
- Le glacier Svéa
- Histoire d’un rêve
- Pistolet enraillé
- 50 km à la rame
- Scènes de sternes et autres oiseaux
- Le retour à la civilisation
- Chacun se raconte un peu
- Boîte de nuit de Longyearbyen