Nous sommes dans le district de Nkwanta, dans le Nord de la Région Volta, à la frontière avec le Togo. Neuf villages isolés bordent le Parc National de Kyabobo, à la frontière entre le Sud fertile, à majorité chrétienne et le Nord savanien aride, à majorité musulmane. Les Akyodés (sous-groupe Guan) se sont réfugiés dans cette région, fuyant la guerre contre l’empire Ashanti, au XIXe siècle. Ils ont su conserver leurs traditions et leurs croyances animistes, leur langue et un mode de vie basé sur
l’entraide intracommunautaire.
Au sein du deuxième massif le plus haut du pays, le Parc National de Kyabobo jouxte celui de Fazao Malfacassa côté togolais. Constitué d’une forêt luxuriante – constellée de cascades saisissantes de beauté, la réserve concentre une faune très diversifiée (buffles, éléphants, antilopes kob, potamochères, céphalophes à flanc roux, quatre races de singes, mais aussi 235 espèces d’oiseaux y ont été recensées). De nombreuses possibilités de randonnée sont proposées et s’ils n’ont pas la
chance d’observer des animaux, les randonneurs pourront se rafraichir proche de la généreuse cascade de Laboum, surgissant de son lit vert, vertical, vertigineux.
Après une marche de quelques heures au sein du parc aux aurores, je décide de poursuivre mon chemin, dans deux villages isolés en bordure de la zone protégée : Shiare et Kyilinga (prononcer Tchilinga). Shiare est à un peu plus d’une heure de marche de Nkwanta, presque autant en voiture tant la route pierreuse est à la limite de la praticabilité. Il faut encore grimper par un sentier glissant pour enfin atteindre « le village accroché ». Je suis ces femmes riantes, sous leur charge de bois,
d’ignames, de bananes plantain fraichement récoltées. Shiare est un hameau construit en terrasse à flanc de falaise, unique en son genre dans toute la sous-région, il offre au voyageur une expérience singulière.
On charge un enfant d’amener O’Brownie (« l’étranger ») à l’Ohene (chef du village). Nous slalomons entre les maisons en adobe tout en longueur, tantôt posées sur la roche, tantôt sur la terre qui s’érode, donnant l’impression qu’elles sont littéralement « accrochées » à leur pan de falaise. Çà et là, on joue à l’awalé ou aux dames sur des damiers géants en bois, transistor hurlant réglé sur l’unique fréquence. À 13h, il fait trop chaud pour aller aux champs, alors on tue le temps, à l’ombre salvatrice des manguiers. Des enfants pilent l’igname pour le fufu (plat national de pâte
d’igname et de manioc bouillis et pilés accompagné d’une soupe chargée en capsaïcine, le composant actif du piment), leurs mères vaquant à d’autres occupations. L’intimité est un mot inexistant dans le vocabulaire local.
Le visiteur est d’abord invité à participer à la cérémonie de libation après avoir expliqué la raison de sa venue. La bonté et la bienveillance des Dieux, des esprits et des ancêtres sont invoqués, du Schnapps est versé sur le sol en offrande, et l’on peut dès lors évoluer en toute confiance au sein du village, le gosier réchauffé par le reste de la bouteille partagée sur le champ.
Depuis mon arrivée au village, les gens me paraissent familiarisés à la visite d’un étranger. Abia, un jeune togolais, heureux de pouvoir échanger en français, me raconte que deux « Blancs » sont restés vivre deux ans au village. Ils travaillaient autour du projet de création du parc national. La réserve officialisée, les paysans de Shiare se sont vus confisquer ce qui était la veille encore, leur terre nourricière. Certains ont même vu leurs plantations arrachées et aucun n’a perçu un semblant
d’indemnisation. Se sentant justement floués par la dure ambivalence entre protection de la nature et survie des hommes vivant ou cultivant sur les lieux, les habitants ont renvoyé les deux « traitres » du village. Depuis, plus aucun étranger n’a été admis à pouvoir y dormir. Les touristes viennent régulièrement, paient leur dû (10 cedis par personne, soit 5 euros environ et une bouteille de Schnapps, une petite fortune), voient le village d’en haut et s’ils le souhaitent, peuvent être
accompagnés jusqu’aux chutes si le guide en a envie, et sont gentiment priés de repartir avant la nuit tombée. Il est formellement interdit de photographier les habitants, une prise de vue étant synonyme d’un vol de plus.
Le village vaut toutefois le détour si l’on s’attarde sur ses détails. Clairsemées par endroits, on trouve de petites cases rondelettes à toit de chaume, sorte d’igloos en terre où les températures sont plus douces. Ce sont les résidences principales des Ainés, ayant atteint un statut donnant le droit que l’on s’occupe d’eux et que l’on écoute leurs conseils avisés. Est dressé aux murs de toutes les maisons, un panaché bien curieux de fétiches arrosé d’huile rouge ou de sang d’animal. Le chemin menant à la cascade la plus majestueuse est escarpé, mais somptueux. Là où volettent les papillons en camaïeu de bleus, il ne faut pas oublier de regarder où l’on met les pieds afin d’éviter l’autoroute des fourmis-soldats, voraces.