JOUR 10 ET 11 – KAOKOLAND – Le dernier matin dans le parc, au rest camp de Okukuejo, alors que nous sortons de la tente, nous avons un éléphant face à nous. Seule une clôture en fil barbelé nous sépare du pachyderme. Comme tous les éléphants, il dégage une odeur pestilentielle d’excrément. Quelques oryx passent à coté de lui pour aller au point d’eau. Rien ne le perturbe, même pas le bruit de la bouilloire qui siffle. Malheureusement, il faut partir. L’éléphant aussi dirait-on. Deux histoires différentes nous attendent. Pour lui c’est la brousse en l’attente de la pluie qui devrait arriver d’ici quelques semaines. Pour nous, c’est la suite du voyage vers le Kaokaland à la découverte de la tribu africaine la plus éloignée de la modernité et de la civilisation : les Himbas, les hommes rouges.
En route vers Opujo et Epupa, à la frontière angolaise, nous traversons la région désertique du Kaokoland. La plaine d’Etosha laisse rapidement la place à des collines boisées et plus au nord à de réelles montagnes. Régulièrement, les couleurs du paysage et de la piste changent. On passe du jaune au rouge puis du gris au marron. Sur environ 600km de piste, nous ne passons que par trois « villes » : Kamajab, Opujo et Otjijanjasemo. La différence entre ces villes du nord-ouest et celles du centre est incroyable. Ici, l’influence de l’Afrique de Sud a totalement disparu. On est vraiment en Afrique noire. Les gens sont pauvres, les villages n’ont rien d’attirant, le bétail enfermé dans des enclos formés de branchages, des épaves de voitures sont conservées à coté des maisons, etc.
Entre Kamanjab et Opujo, l’état namibien a dressé une clôture gigantesque. C’est la frontière sanitaire appelée la Red Line. En raison des maladies, le bétail du nord ne peut absolument pas être mélangé ou vendu avec le bétail du sud. Cette ligne ne sépare pas que les animaux mais aussi les hommes. Le sud fait partie de l’Afrique moderne et le nord, c’est le tiers monde. N’ayant plus assez d’essence pour rejoindre Opujo par la route principale, nous prenons une piste secondaire qui va nous faire gagner 85km. Au fur et à mesure que nous progressons vers Opujo, nous voyons l’habitat et le niveau de vie se dégrader. Les maisons deviennent des baraquements de fortune ou des maisons en terre. L’eau, déjà rare dans le pays, devient un luxe.
Entre le magnifique lodge de Hobatare, où nous avons passé la nuit en compagnie des lions qui rodaient autour du bungalow et la ville d’Opuwo, nous ne croiserons qu’un seul camion en 4 heures. 280Km de route seul, ça fait réfléchir. On imagine mal comment les secours pourraient être prévenus en cas d’accident dans un endroit aussi retiré. Des Sud Africains nous raconteront qu’il faut parfois attendre des dizaines d’heures avant d’être secouru et qu’il est indispensable d’être bien préparé. S’éloigner autant de la civilisation ne s’improvise pas. Nous avons du matériel pour réparer, plusieurs roues de secours, de la nourriture et beaucoup d’eau. En cas d’accident grave comme un retournement, c’est la chance qui vous sauve.
Opuwo est le dernier endroit où l’on peut de réapprovisionner en essence et nourriture avant d’aborder le grand nord. Les touristes de passage le savent et les habitants aussi. Alors que je remplis le réservoir d’essence, des enfants viennent nous demander nos bidons d’eau de cinq litres vides alors que les adultes vendent des bijoux en os de vache et des objets traditionnels.
Au supermarché, nous voyons les premiers Himbas. C’est étrange de les voir à moitié nus, couverts de graisse rougie à l’ocre, poussant une charrette remplie de boite de conserve. Victime du tourisme occidental, les femmes se prostituent pour offrir une « aventure » inoubliable à l’Européen. Les prendre en photos coutent 10N$. Un business malsain s’est établi dans cette ville glauque et sans intérêt. Nous ressentons une relation tendue entre les Hereros, ethnie majoritaire et moderne, et les Himbas, traditionnels et vivant hors du temps. Il semble que la communauté d’Opuwo ne vit pas en harmonie. Nous pensions faire une halte dans cette ville et c’est avec une sorte de soulagement que nous la quittons vite fait.
Pour la première fois de notre vie, nous venons de découvrir l’Afrique pauvre qui probablement commence ici et finit aux contreforts du Sahara, à des milliers de kilomètres au nord.
Au plus on approche de l’Angola, au plus le relief s’élève. La route commence à serpenter dans un paysage splendide découpé par d’hypothétiques rivières. Les villages Himbas sont de plus en plus nombreux. Le long de la route, les enfants nous font signe de nous arrêter. Ils espèrent recevoir des bonbons. Une catastrophe pour leurs dents qui ne sont pas accoutumées au sucre, inexistant dans cette partie du monde. Les adultes aussi font signe. Ils attendent du tabac et de l’alcool, un désastre pour l’organisme de ces hommes qui n’y résiste pas. On ne s’arrêtera qu’une seule fois. Ne parlant pas l’anglais ni l’Afrikaans, les Himbas font des signes incompréhensibles pour obtenir des cadeaux. N’ayant pas pensé à acheter du sel ou de la nourriture sèche à leur donner, nous repartons sans s’être fait comprendre.
L’arrivée à Epupa est très agréable. D’abord cette oasis verdoyante qui apparait brutalement, sans prévenir, dans un environnement asséché et jauni par des mois de soleil brulant. Ensuite, le retour des sourires de la part des Himbas qui, ici, n’ont pas encore été pollués par le tourisme de masse qui sévit à Opuwo. Nous sommes les bienvenus sur leur terre. Au milieu de l’oasis coule la rivière Kunene. Avec un vacarme assourdissant, la rivière plonge dans la cataracte formant les Epupa Falls. Le spectacle est magnifique. Le camping est blotti sous les palmiers dans lesquels les oiseaux chantent. Nous sommes surpris de voir des inséparables verts et rouges comme ceux que nous avons en cage la maison. Leurs cris nous rappellent notre chez nous, loin d’ici.
Cinquième du Concours de Carnets de Voyage 2006 organisé par I-Voyages en partenariat avec A Cheval en Corse, Carnets d’Aventures, Chemins du Rêve, Editions Complicités, Europe Active, Forum tour du Monde, Khyam, Let’s Talk, Patrick Chatelier et Rêves et Nature