28 Juillet 2007 : Ichkachim et Langar
On en parle depuis hier. Il faut dire que c’est extrêmement tentant. Simon est pas partant au début : il a promis et si sa copine apprend ça (et il ne pourra pas s’empêcher de lui en parler), elle le quittera, c’est sûr! Finalement, on s’arrange avec les mots… Le marché afghan a lieu à Ichkachim le samedi matin. Mais pas tout à fait en Afghanistan. C’est dans le no man’s land entre les deux postes frontières.
On est plus au Tadjikistan mais pas encore en Afghanistan.
Une fois par semaine, les barrières sont ouvertes et les wakhis se retrouvent pour faire du commerce. C’est le même peuple mais il est séparé par une frontière. On laisse nos passeports à un officier de police tadjik. Pas convaincus, nous sommes un peu rassurés par le propriétaire de notre Guesthouse. Il les connaît, il amène régulièrement des touristes, il n’y a jamais eu de problèmes. Même pas de billets à passer pour récupérer les passeports. C’est vrai, tout se passera sans mauvaise surprise.
On passe la grille, puis un pont. On entre à droite dans un très grand terrain entouré de grillage. Il y a au fond un grand hall ouvert, d’apparence assez récente, construit de tôle ondulé. Un four. On y vend les légumes, les fruits et d’autres denrées alimentaires.
Pendant trois heures, je marche seul sur ce banc de sable, entre Tadjikistan et Afghanistan. Rien de folklorique. On vend quelques tapis industriels, des fripes, des gadgets chinois. Je vois aussi trois vieux vélos, beaucoup de bijoux.
On a vite fait le tour de ce marché mais c’est pas grave, on le refait, deux fois, dix fois. Les marchandises n’ont aucune importance. Ce sont les gens desquels les yeux ont souvent du mal à se détacher. Ils sont beaux. Ils paraissent grands, ennoblis par toutes les histoires vécues que je leur prête. Parfois, nous nous regardons longuement dans les yeux. Quatre fenêtres fenêtre pour contempler réciproquement deux existences si différentes a priori. Qu’est-ce qui nous rapproche alors ? Je pense que ce sont nos désirs fondamentaux. Partout dans le monde, l’humain a les mêmes.
Ces échanges intenses se terminent souvent par un sourire et un petit hochement de tête.
Plaisir intense de mange le plof local avec quelques brochettes de viandes. J’ai retrouvé Simon et nous sommes assis dans la caillasse et le sable, sur des chaises en plastique. Deux vieux mendiants afghans attendent à distance la fin du repas pour essayer de récupérer quelques restes. Je nage dans le bonheur pendant qu’eux, manifestement, ont faim. Il n’y a qu’à voir comment ils guettent de loin. Ils ne demandent rien à personne, sont ils honteux?
Je leur fait signe de venir s’asseoir et demande au cuisinier de leur servir deux assiettes. Ils ne disent rien, ils mangent vite, remercient puis partent. Grand silence autour de la table. Matthias et Alister nous ont rejoints. C’est mal vu pour un routard de faire ce genre de chose? Des fois que ça créerait une jurisprudence?
Matthias, lui, a tellement insisté auprès d’un marchand, qui il a réussi à se faire offrir un béret afghan. Il est fier de sa collection de couvre-chefs offerts. C’est ça le vrai contact avec les indigènes. Et si ils donnent un cadeau, c’est bien qu’ils l’aiment cet allemand! Moi, je le supporte de moins en moins. On a passé seulement quelques heures ensemble. La suite promet, mais c’est le prix à payer pour parcourir cette vallée…
Départ en début d’après midi après d’âpres négociations entre Alistair, Matthias et le chauffeur. Ils avaient convenu un prix vraiment très bas, et suite à un coup de fil à son père, le chauffeur, qui fait un tel voyage pour la première fois, se rend compte qu’il peut demander plus. Et puis, il y a deux passagers en plus… Le chauffeur fait mine d’aller voir les flics, Matthias se met en quête de bidon pour récupérer dans le réservoir l’essence qu’ils on payer. Ca dure une heure, on les met d’accord sans qu’aucun ne perde la face. Le plus ridicule et le plus obtus n’est pas le tadjik.
Un tel paysage est à couper le souffle. J’y pense encore aujourd’hui, presque chaque jours. Le vert et le blond des cultures. La grande variété de gris et de beige du lit de la rivière. Les montagnes noires, argentées, métalliques ou roses, lilas, ocres. Perpendiculairement à la vallée du Wakhan remontent des vallées secondaires. Et au fond de chacune, on voit des hauts sommets afghans et pakistanais blancs, enneigés. On est tout proche de l’Hindu Kuch et du Karakoram.
En route, nous dépassons un bus antique qui ramène des gens du marché. Nous nous ensablons dans un gué. En route, les pauses sont fréquentes. Mais tout va trop vite. Pas le temps de s’imprégner des lieux autant que je le souhaite. Pas encore parti, je songe déjà à revenir, à pieds ou à vélo pour me rassasier de toute cette beauté.
Alister et Matthias mitraille. Ils se prennent mutuellement en photo. Ils causent, sans cesse, ils parlent. Dans une semaine, Alister fera l’Inde pour deux semaines. Matthias estparti d’Europe il y a six mois. Il critique tout. Il est choqué par l’état des routes, il ne comprend pas qu’il n’y ait pas d’électricité partout avec ce potentiel hydrolique. Pendant deux heures, ils spéculent sur la facilité de traverser le fleuve et de se retrouver en Afghanistan. Mais qu’ils y aillent!! Qu’on ait la paix. Je ne dis pas un mot de la journée. Simon est un peu plus calme mais il craque quand, au lieu suivre le chemin, Matthias coupe tout droit à travers les ronces, à flanc de montagne. Pendant que nous l’attendons en bas (il a fait demi tour au bout de dix minutes), nous débattons sur le besoin qu’a ce petit jeune de se prendre pour un grand aventurier. Le voyage sans cicatrice, c’est moins bon? Que du vent en fait… Matthias se révélera sans réel courage et incapable de voyager seul.
Nous arrivons en fin d’après midi à Langar. Des femmes en robes colorées passent dans les rues. Des enfants ramènent des troupeaux de moutons à la maison. Le vent souffle dans les peupliers, il commence à faire frais.
Dans l’intention de me ravitailler, je me rends dans le seul magasin d’alimentation ouvert. Il n’y a pas grand chose, on est loin de l’abondance de Dushanbe et je repars avec une boite de thon russe, un bocal de cornichon et quelques bières. Je croise un couple de cycliste français. Ils baissent la tête en me voyant et ne répondent pas quand je les salue. Ils resteront ainsi persuadés d’avoir été les seuls voyageurs (et peut-être les premiers) à fouler le sol de Langar!
Repas consistant dans la famille qui nous accueille. Tomates, semoule au lait, très bourrative. Pastèque au désert. Nos deux compagnons ne sont pas trop contents. Quand même, nos hôtes pourraient faire un effort. On a quand même l’immense gentillesse de payer quatre ou cinq dollars la nuit et le repas! Ces salauds donnent leur part de semoule au chien – oui, vous lisez bien. Je leur dis combien je trouve ce geste déplacé. Ils se marrent. Heureusement, nous ne sommes que nous quatre, nos hôtes sont ailleurs. Peut-être mange-t-il moins ce soir pour nous satisfaire.
Assis, je contemple les étoiles en écoutant les ruisseaux. Malheureusement, je suis trop vite rejoint par les deux arrogants. Ils discutent impôts. Alister en a marre de payer 40000 euros chaque année. Pauvre choux. Je me lève, marche un peu et rentre me coucher… Je vis une bonne leçon : dépendant pour me déplacer, mon paradis est un peu souillé par ces deux imbéciles…