Ce carnet de voyage est tiré d’un ouvrage. Il s’agit d’un chapitre du livre : Itinéraire d’un enfant des villes dans l’Himalaya.
- Auteur : Chris Nerwiss
- Editeur : In octavo
- Format : 240 pages ; 145 x 220 mm
- ISBN : 978-2848781112
- Prix : 21,00 €
- Disponible chez Amazon
Ascension de Khangsar jusqu’au camp de base du lac Tilicho
Nous quittons Khangsar à 7 heures 30. Il faisait 6°C dans le lodge à notre réveil. Nous suivons le sentier qui surplombe la rivière Khangsar Kola. Le temps est dégagé. Nous marquons une première pause à un petit monastère visiblement délaissé en cette saison, une deuxième, à un lodge à 3 900 mètres tout aussi désert et fermé.
Peu avant 11 heures, nous arrivons devant un panneau « Caution Landslide Area ». Dipak nous explique que la zone est dangereuse sur plus d’un kilomètre en raison du risque de chutes de pierres. L’entrée dans la zone est proche de 4 000 mètres d’altitude et elle marque la limite de la végétation. Devant nous, ce ne sont que successions de pentes à 45 ° de 200 à 400 mètres de haut et autant vers le bas. Au milieu des éboulis se dressent quelques rochers de forme conique.
Au loin, la montagne fait un coude et semble fermer l’accès à une vallée mystérieuse. Ce paysage lunaire aride et hostile est néanmoins magnifique. Nous franchissons le premier passage à tour de rôle. Dipak surveille d’éventuelles chutes de pierres. Le sol se dérobe sur nos pieds, les pierres n’étant pas stabilisées. L’impression est identique à celle d’une progression dans de la neige poudreuse. Nous trébuchons tous à tour de rôle mais la couche de cailloux freine nos chutes et personne de glisse sur plus d’un mètre. Le vrai danger est maximum en cas de pluie lorsque l’eau draine les pierres et juste après en cas de gel transformant la paroi en un véritable toboggan.
La traversée des différents passages, dont certains nous obligent à descendre pour mieux remonter, s’avère au final assez éprouvante. Au bout de trois quarts d’heure, nous sortons enfin de la zone et marquons une pause bien méritée. Nous sommes juste à l’endroit où la montagne fait un coude et se dévoile. Nous devinons au loin le Camp de Base au pied de la rivière. Je regarde Tanguy et dis :
– Demain, pour redescendre ce serait plus logique de suivre la rivière plutôt que de remonter pour redescendre et ça nous éviterait de retraverser les landslides.
Tanguy acquiesce. Kharsang et Dipak sont assis une dizaine de mètres plus loin. Kharsang qui en a bavé autant que nous dans la zone des Landslides a les yeux rivés sur la rivière en contrebas. Il parle à Dipak. Je ne comprends pas ce qu’il dit mais Dipak nous résume :
– Kharsang pense que demain on devrait suivre la rivière, ce serait plus facile.
– C’est exactement ce que je disais à Tanguy.
– Vous êtes d’accord. C’est bien, c’est bonne idée. Avec un groupe, je n’aurai pas pu le faire. Il y aurait toujours eu quelqu’un qui aurait voulu rester sur le sentier.
Maintenant que nous avons passé la zone des Landslides et franchi le petit col, nous descendons en pente douce vers le Camp de Base. Sur notre gauche, le glacier du Tarke Gang, 7 200 mètres vient mourir dans un canyon majestueux qui n’est pas sans rappeler le Sanctuaire des Annapurnas.
Au loin, j’aperçois Kharsang qui est reparti presque en courant après la pause, à la sortie des landslide. Tanguy et Dipak sont une centaine de mètres devant moi. J’ai faim. Je commence à en avoir ma claque du régime pancake, riz, pâtes et j’ai très peu mangé ce matin. J’avale deux snickers achetés à Manang dans la seule échoppe ouverte. J’ai l’impression de ne jamais avoir mangé quelque chose d’aussi bon.
Je repars et rejoins Tanguy et Dipak au lodge. Kharsang a déjà allumé un feu et préparé du thé. Je ressors avec Tanguy boire au soleil, il est 12 heures 40. Nous avons marché, pause comprise cinq heures, je regarde Tanguy ;
– Tu te vois continuer encore trois ou quatre heures jusqu’au lac et tout redescendre
– Franchement non et toi ?
– Non, je suis cassé. Impossible !
Je me relève mon thé à la main et vais explorer les alentours du camp. Nous sommes au bord de la rivière, sur un petit plateau, coincé entre quatre montagnes allant de 4 800 à 7 200 mètres. Pour notre part, nous sommes à 4 150 mètres.
L’ambiance a un côté un peu irréel qui tient au fait que nous sommes les seuls occupants du lodge qui en saison accueille jusqu’à cinquante personnes en comptant les trekkeurs qui dorment sur les tables dans la salle à manger. Le vent souffle doucement sur les quelques herbes qui séparent le lodge de la rivière. J’avance et je découvre l’autre facette d’un camp de base. Des centaines de bouteilles de verre sont amassées sur une quinzaine de mètres. Je fais quelques mètres sur ma gauche et me dirige vers la cabane des toilettes. Par curiosité, j’ouvre la porte et sans rentrer dans les détails, je suis stupéfait de voir que le propriétaire du lodge a fermé en laissant ses toilettes dans un état qui m’encourage très vite à faire demi-tour. Nous sommes seuls au monde et mes toilettes se trouveront quelque part dans la vaste étendue du plateau. Je rejoins la cuisine du lodge. Kharsang s’est débrouillé comme un chef, compte tenu du peu de moyens à sa disposition et nous a mitonné d’excellentes pâtes au fromage de yak.
Récupération et acclimatation sont les maîtres mots de l’après midi. Tanguy et moi, nous nous réfugions dans notre chambre, à lire et à écouter de la musique.[i]Vers 17 heures, je jette un coup d’œil au thermomètre installé le long de la fenêtre, il ne fait plus que 6 °C alors qu’il faisait 10 °C trois heures plus tôt. J’ai un peu froid et la nuit promet d’être très très fraîche d’autant que le vent s’est levé, brassant des tonnes d’air glacial. Tanguy me propose d’aller nous réchauffer près du feu, dans la cuisine. Je réponds :
– On va faire mieux que ça, on va aller dormir là bas.
– Je me disais que ce ne serait pas une mauvaise idée.
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous descendons notre barda de notre chambre située au premier étage à la cuisine située au rez de chaussée. Nous installons les matelas à même le sol, dans un nuage de poussière. Tanguy et moi essayons vainement de préserver nos mains de la saleté en ayant recours à de multiples lingettes mais la cause est perdue d’avance, deux minutes après s’être lavé, nos mains sont de nouveau noires.
Pendant que Kharsang s’affaire à nous préparer un Dal Vat, nous concoctons un petit apéro d’altitude à base de saucisson français et whisky écossais. La nuit est tombée. A quatre mètres du feu, dans la salle à manger, il fait 0°C. A cinquante centimètres, sur le banc que nous partageons avec Dipak, il fait 10 °C. Malgré les conditions spartiates, tout le monde savoure son bonheur d’être là et l’ambiance est franchement bonne. Je crois que durant cette soirée nous avons gagné par nos sourires et nos rires dans la poussière, l’amitié de Kharsang et que lui par sa débrouillardise a définitivement acquis notre respect.
Notre Dal Vat avalé, nous prolongeons la discussion autour du feu puis nous nous plongeons dans nos sacs de couchage. Nos amis Népalais ne tardent pas à s’endormir. Nous écoutons de la musique I-Pod vissé sur nos oreilles. L’altitude nous empêche de trouver le sommeil.
Vers 10 heures, alors que le feu est de train de mourir et que la température est tombée à -1 °C dans la pièce, nous nous relevons et allons discuter dans la salle à manger. J’allume une cigarette et savoure le délicieux poison dans la froideur de la nuit népalaise. Tanguy est très amusé par notre situation dans la nuit noire, dans le froid au milieu de nul part. Nous refrénons nos rires comme deux collégiens en colonie de vacances qui ont peur de se faire piquer par les surveillants. Au bout de vingt minutes, vaincus par le froid, nous regagnons nos sacs de couchage et finissons par nous endormir.